« Gaboriau m'attirait par la construction impeccable de ses intrigues, et Dupin, le maître détective d'Edgar Poe, était depuis mon enfance un de mes héros favoris. »
Conan Doyle nous révèle ainsi, dans son autobiographie, les deux ancêtres littéraires de Sherlock Holmes.
Edgar Poe est célèbre et tous ses lecteurs ont lu Double assassinat dans la rue Morgue, et La Lettre volée, où intervient brillamment le chevalier Dupin.
Moins connu est l’écrivain français Émile Gaboriau avec son inspecteur Lecoq de la Sûreté de Paris, dans L’affaire Lerouge, éditée en 1866 et considérée comme le premier roman policier.
Sherlock Holmes, lui, était peu reconnaissant. Il considérait Dupin comme un collègue « très inférieur « et traitait Lecoq de « misérable bousilleur ». Watson, à ces commentaires, avait jugé Holmes complètement imbu de lui-même.
Il manque pourtant un troisième ancêtre que Conan Doyle, comme Sherlock Holmes, oublient de mentionner : le père Tabaret, surnommé Tirauclair.
Qui est le père Tabaret ?
Le père Tabaret est le mentor de l’inspecteur Lecoq, celui qui lui a appris à mener une enquête rigoureuse par la méthode déductive.
Il apparaît pour la première fois dans l’affaire de l’assassinat de la veuve Lerouge où il découvrit le meurtrier.
Il est étonnant que ni Doyle, ni Holmes, ne mentionnent le père Tabaret alors que tous deux connaissaient Lecoq.
Plus étonnant, en faisant le portrait du père Tabaret, voici ce que nous découvrons dans les romans d’Émile Gaboriau :
Le père Tabaret est un détective consultant qui collabore avec la police, représentée par le commisaire Gévrol, personnage assez obtus, spécialiste des fausses pistes.
Cela ne nous rappelle-t-il pas un certain Sherlock Holmes et l’inspecteur Lestrade ?...
Que cherche le père Tabaret ?
Il cherche à « soulever les voiles les plus épais, à étudier l’envers de toutes les trames, à deviner ce qu’on ne lui avoue pas, savoir au juste la valeur des hommes, le prix des consciences. »
N’est-ce pas là la préoccupation majeure d’Holmes, sa motivation profonde, lui qui aurait aimer soulever les toits de Londres pour découvrir les étranges coïncidences, la merveilleuse chaîne des événements ?...
Pourrions-nous en apprendre plus sur ce curieux enquêteur et ses ressemblances éventuelles avec Sherlock ?
Le père Tabaret a lu tous les mémoires des policiers célèbres de son temps ainsi que les rapports et les procès fameux.
Tout comme Sherlock dont la connaissance en littérature policière était immense.
Le père Tabaret utilise toutes les informations à sa disposition, notamment les biographies générales des hommes célèbres du siècle. La bibliothèque de Sherlock était constituée des mêmes livres.
Il a résolu des affaires dont on ignore tout, comme celle de la femme du banquier qui s’était volée elle-même. Exactement comme les affaires inédites de Sherlock Holmes.
Il se plaint des malheurs du siècle :
« Le malheur est que l’art se perd et se rapetisse. Les beaux crimes deviennent rares. La race forte des scélérats sans peur a fait place à la tourbe de nos filous vulgaires. Les quelques coquins qui font parler d’eux de loin en loin sont aussi bêtes que lâches. Ils signent leur crime et ont soin de laisser traîner leur carte de visite. Il n’y a nul mérite à les pincer. Le coup constaté, on n’a qu’à aller les arrêter tout droit. »
Tout autant que Sherlock qui déclare à Watson :
« Il n’y a plus de crimes ni de criminels de nos jours. Aucun crime à résoudre, tout au plus quelque affaire crapuleuse, avec un mobile si évident que même un inspecteur de Scotland Yard ne pourrait ne pas le voir. »
Comment travaille le père Tabaret ?
Il a un principe : « se défier des apparences, croire précisément le contraire de ce qui paraîtra vrai ou seulement vraisemblable. »
Rappelons nous Sherlock Holmes : « Quand vous avez éliminé l’impossible, ce qu’il reste, tout aussi improbable soit-il, doit être la vérité. »
Le père Tabaret pratique une méthode d’analyse et d’induction, et « prétend avec un seul fait reconstruire toutes les scènes d’un assassinat, comme le savant qui sur un os rebâtissait les animaux perdus. »
Holmes nous donne le nom de ce savant :
« Comme Cuvier pouvait décrire l’animal entier par l’observation d’un seul de ses os, ainsi l’observateur, qui a découvert le lien marquant dans une série d’incidents, est à même de remonter toute la chaîne de l’événement, avant et après. »
Enfin, ce détective consultant a une manière unique de présenter ses déductions :
« Je tiens la chose. C’est tiré au clair maintenant et simple comme bonjour. L’assassin est arrivé ici avant neuf heures et demie, c’est-à-dire avant la pluie. C’est un homme encore jeune, d’une taille au peu au-dessus de la moyenne, élégamment vêtu. Il portait, ce soir-là un chapeau à haut de forme, il avait un parapluie et fumait un trabucos avec un porte-cigare. »
Devant de tels indices le doute n’est plus permis. Conan Doyle, en lisant les romans d’Émile Gaboriau, s’est inspiré du père Tabaret. Sherlock Holmes, dont la mère était française, a ainsi hérité de quelques gènes français littéraires.
D’ailleurs Conan Doyle, dont la famille maternelle était d’origine normande, fait peut-être une allusion au père Tabaret dans son autobiographie :
« Comment allais-je appeler mon personnage ? Je trouvais bien trop facile de le dépeindre par un nom imagé, comme M. Laffuté ou M. Furet. Ce fut d’abord Sherringford Holmes ; puis Sherlock Holmes. »
Or le père Tabaret a un surnom : Tirauclair. Un nom imagé pour dépeindre ce personnage.
Serait-ce là un aveu de Conan Doyle ?
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